REVOLTE EN CHIMERONIE
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Il était une fois, dans la verdoyante et giboyeuse République de Chiméronie,
un vieux crapaud solitaire dont ni
la gent de Flore ni la gent de Faune ne savaient plus depuis quand et de quel
lieu il était arrivé là.
Sans
doute, jadis, dans ses jeunes années, s’était-il confié sur ses origines
auprès de Pias-Piass, la pie bavarde et sachant à merveille tirer les vers du
nez des carpes les plus muettes, mais, quant à ce crapaud nouvel arrivé, elle
avait tant mêlé l’écheveau de ses informations que nul, dans cette république,
ne savait plus ni qui ni que croire de ses racontars !
Ce vieux crapaud avait construit son nid dans les massifs touffus et épineux
d’une haie de prunelliers sauvages, de ces massifs noirs et tristes en hiver,
mais resplendissant d’un dôme de petites fleurs blanches et parfumées, quand
naissaient les premiers jours du printemps.
Ce fut dans ces taillis agressifs, où s’étalait une large pierre plate de
calcaire, qu’il avait creusé, en cul- de- fonds, toujours plus profondément,
mais avec une pente douce, un trou à la dimension de son corps s’étoffant avec
le temps, un vrai nid douillet, garni de mousses sèches et chaudes, dont il ne
sortait, à pas lents jusqu'à l’orifice extérieur, que pour satisfaire sa faim
d’insectes de toutes espèces, et descendre, à lourds rebonds, la pente qui
menait au ruisseau proche de son gîte, pour s’y désaltérer.
Ces nécessités remplies, il remontait en ahanant la pente, grimpait sur le
rebord de la pierre plate et, les jambes pendantes nonchalamment, il allumait
sa pipe bourrée de feuilles mortes, et fumait à petites bouffées béates.
Nul ne savait vraiment son nom, mais, à cause de son cri, plus lourd et plus
gras que celui des vertes rainettes du ruisseau, on l’avait surnommé « COA ».
COA- le- crapaud était si gros, si pesant, que, à chaque fois qu’il sortait de
son gîte, toute la gent de Flore s’écartait, horrifiée devant ses lourdes
pattes et son ventre traînant ; et il était si laid, si hideux avec son dos
verruqueux et tacheté de rousseurs que toute la gent de Faune, depuis Chiff-
la- couleuvre jusqu'à Goup- le- renard, avait à jamais renoncé à l’inscrire au
menu de leurs agapes, même au temps rude de la disette hivernale.
Nanti de ces deux affligeantes tares, mais aussi grâce à celles-ci, COA- le-
crapaud avait en toute quiétude accumulé des ans et des ans ; et de cette longévité inhabituelle dans la race de ses
congénères, il avait su tirer profit pour acquérir, au fil du temps, sous son
crâne plat, une science hors du commun de la nature végétale, animale et
bipède de cette race dite humaine, ainsi qu’une expérience mêlée de prudence
et de ruse, dans l’art et la manière de se comporter à l’égard d’autrui, en
toutes circonstances; toutes qualités qui lui avaient valu la renommée de
« sage vénérable » parmi les populations de Flore et de Faune, hormis, bien
évidemment, celle des bipèdes humains qui n’en avaient cure !
Dans son havre de paix, il aurait à coup sûr, dû prolonger longtemps encore,
les joies du boire et du manger, dormir et fumer sa pipe si,...
... un épouvantable événement n’était venu interrompre le cours paisible de
son existence batracienne !
C’est qu’en effet, rien, mais vraiment RIEN ne tournait bien rond dans la
vivante République de Chiméronie, depuis que quelques savants bipèdes, faisant
profession de foi égalitariste, passés maîtres es- gaspillage des deniers
publiques, avaient résolu de mettre un terme final au conflit ancestral
opposant, chez leurs congénères, les Apôtres de la Lumière, et les Disciples
des Ténèbres !
A cette fin, ils avaient imaginé et déjà impulsé l’opération sans précédent du
mariage de Bris-le Soleil avec Bla-la Lune, afin que de leur liaison, il n’y
eût plus jamais de jour total en faveur des uns, et plus jamais de nuit totale
en faveur des autres.
Car, dans
l’esprit de ces manipulateurs cosmiques, cette union sidérale autant que
sidérante, devait engendrer un unique « jour- de- nuit » pour le bonheur des
Luminaristes, qui se confondrait désormais
à une seule « nuit- de- jour » pour la satisfaction des Ténèbristes.
Et
l’entreprise s’annonçait sous les meilleurs auspices de succès, depuis que,
sous la pression conjuguée d’engins interplanétaires, une première tentative
de rapprochement physique des deux astres s’était réalisée, donnant naissance
à un jour sans cesse pâlissant et à une nuit s’éclairant progressivement, sans
d’ailleurs parvenir à suspendre les hostilités au sein de la population des
bipèdes humains !
Très vite, COA-
le- crapaud avait pris conscience du mortel danger auquel, par leurs
redoutables manipulations, les savants, érudits peut-être, farceurs sûrement,
exposaient à brève échéance tous les êtres vivants de la République de
Chiméronie. N’en avait-il pas quotidiennement les signes annonciateurs devant
ses yeux globuleux ?
Déjà, la gent
de Flore ne savait plus se distinguer et se départager, selon le rythme des
saisons, entre les fleurs du printemps et les fleurs de l’été, entre celles de
l’automne et celles de l’hiver.
Ainsi, la
jaune jonquille et la rouge pivoine, la mauve colchique et la rose hellébore,
toutes ensembles et côte à côte, brisaient l’hymen de la terre, croissaient et
fleurissaient hors de leurs temps naturels respectifs, sans scrupule, dans un
esprit de concurrence déloyale, source de haines et de discordes entre
communautés jadis pacifiques.
A son tour, la
gent de faune était touchée par ce fléau nouveau : entre les membres du clan
des « Diurnes » et ceux du clan des « Nocturnes », chacun reprochait à l’autre
de vivre à ses dépens, de se nourrir en même temps des mêmes pâturages et des
mêmes proies, provoquant de redoutables prises de gueules et de poignantes
prises de becs !
Et les
pâturages, à leur tour, se plaignaient de ne plus connaître aucune trêve pour
accomplir leur nécessaire repousse
; et les proies se lamentaient de ne plus avoir aucune chance de survivre
assez longtemps pour assurer la descendance de leurs espèces !
A coup sûr,
cette révolution dans les airs cosmiques allait engendrer la révolution
générale !
Au devant de
ses yeux glauques et au travers des coupelles de ses ouïes, COA le crapaud
enregistrait toutes ces mutations dans le ciel, et toutes ces révoltes sur la
terre de Chiméronie, et son angoisse croissait chaque jour davantage.
Or, survint un matin où, posturé sur son cul, le dos appuyé contre une motte
de terre glaise, les jambes croisées l’une sur l’autre, sous un rayon de
soleil blafard, au travers des volutes grises s’échappant du fourneau de sa
pipe, brusquement COA fut saisi par la révélation éclatante de la manière
radicale et unique de garantir le salut de la Flore et de la Faune de sa
République chiméronienne.
Cette
révélation soudaine autant qu’inattendue lui fit d’abord perdre la pipe, puis
gonfler sa gorge de joie et d’émotion malicieuse, avec tant et tant d’ampleur
qu’ouvrant enfin toute grande sa large bouche, il en libéra un
« COOAAAHH » si puissant et si sonore que, hormis la horde inattentive
des bipèdes humains, toute la gent de Flore comme de Faune l’entendit et en
frémit d’intense émotion.
Aussitôt,
saisi d’une curiosité intrépide, surmontant son effroi et son dégoût, Pioc- le
merle noir au bec jaune courut hors des taillis jusque auprès du vieux crapaud
sage et, claquant du bec à-qui-n’en-peut-plus, il s’enquit de ce qui était
arrivé au vénérable batracien.
« Ecoute »,
lui dit ce dernier « écoute ce que je vais te confier : je connais la cause de
tes malheurs, de ta révolte et de ta rencoeur, de ceux de tes congénères ailés
et de ceux de tout le peuple de Faune. Mais je connais aussi désormais le
remède à tous vos maux. Va, Messager, va dans le ciel d’azur et par les vastes
plaines, au bord des rivières argentées et tumultueuses, et dans les vertes
forêts, annoncer à tous les gens de ta nature animale que, ce soir, au temps
où Bri-le soleil approchera de Bla-la Lune pour lui prodiguer ses caresses, je
veux les voir réunis sur les
flancs de la Grande Colline de Chiméronie; car, de son sommet, je
dicterai le moyen de leur salut avec le retour à la paix et à l’ordre
d’antan ».
« Fort bien !
j’y vole de ce coup d’aile », répondit Pioc- le merle, et il se coula sous les
buissons et disparut bientôt.
A peine se
fut-il envolé que Tim- la Violette, croissant à l’orée du gîte de COA- le
crapaud, pencha sa frêle et odorante corolle vers lui : « Et nous, nous as-tu
donc oubliées ? » murmura- t ’elle avec un accent chargé de tristesse
parfumée.
« Que non
point, ma mie ! Mais, dis-moi : as-tu bien entendu le message que je viens de
délivrer à Pioc- le merle ? »
« Oui, oui,
vénérable Sage ! »
« Alors,
maintenant, c’est à toi que je confie le soin de colporter mon invitation à
toutes tes soeurs et à toute la gent de Flore. Retiens un instant ta pudeur
native, sois forte et convaincante et va annoncer mon message aussi bien au
liseron rampant qu’au chêne colossal, va, ma bonne Tim ! »
Alors, Tim- la
violette s’inclina vers sa sœur voisine et lui répéta le message ; cette
dernière l’imita aussitôt, et la nouvelle du rendez-vous fixé par COA- le
crapaud courut bientôt au ras du vallon, traversa le ruisseau, bondit de
coupelle en coupelle des nénuphars, et se répandit jusqu’aux extrémités de la
frontière de Chiméronie.
COA avait
repris le tuyau de sa pipe. S’il éprouvait une grande satisfaction de son
initiative, il n’en était pas moins anxieux, agité par l’inquiétude.
Oh ! certes,
il connaissait l’aversion que sa triste personne provoquerait encore parmi la
Flore et la Faune ! Mais leurs représentants immédiats venaient de réserver à
son message un accueil si enthousiaste qu’à l’évidence cette répugnance ne
saurait pour l’heure constituer une raison suffisante à ce que l’on rejetât
massivement son invitation.
Il redoutait
bien davantage les incontournables obstacles que ses deux messagers bénévoles
rencontreraient inévitablement dans l’accomplissement de leur mission.
En effet,
parmi leurs interlocuteurs, il s’en trouverait fatalement qui n’attacheraient
aucun crédit à son message, le tourneraient en dérision, car, se pouvait-il
imaginer qu’un crapaud, fût’ il considéré comme « sage » ou « vénérable »,
devînt, un jour, le « Messie » des peuples de Flore et de Faune ?....
Ceux aussi qui déclineraient son invitation, prétextant hypocritement une
occupation majeure, n’osant avouer que leur force, leur grandeur naturelle les
situaient parmi les puissants de ce monde, leur conférant une garantie de
survie au détriment des faibles et des malades dont ils n’avaient cure ! et,
par conséquent les rendaient nullement volontaires pour déranger une situation
qui les favorisait.
Il y aurait
aussi les paresseux et les indécis, les orgueilleux et les jaloux, les faibles
et les indolents, les négligents et les indifférents, les sans passion et les
sans envergure, les sans feu ni lieu, les sans foi ni loi !...
Néanmoins, COA,
le vieux crapaud sage, gardait le ferme espoir qu’un nombre suffisant de
membres de Flore et de Faune répondraient à son appel et se rendraient à son
invitation.
Il jeta un
coup d’œil circulaire sur l’avancée des ombres au ras de la terre, et,
satisfait, il en conclut que le temps était venu de partir. Déposant sa pipe,
déployant ses jambes et ses bras, lentement, gauchement, pesamment, il se mit
en route.
Avec une
exquise délicatesse, la gent de Flore lui apporta son concours pour faciliter
sa rude montée sur le flanc de la Grande Colline : les ronces écartèrent leurs
lianes piquantes et tentaculaires de son chemin ; les chiendents s’étendirent
en doux coussinets sous ses pattes maladroites ; et les dents-de-lion, à tour
de rôle, expulsèrent leurs graines parachutes pour prévenir l’au-devant de
l’arrivée imminente du randonneur.
La Faune, à
son tour, se fit fort active : profitant de sa mobilité naturelle, elle
s’ingénia à libérer la voie des obstacles qui l’encombraient, ôtant ici une
grosse pierre, et là, comblant une méchante ornière.
Et tous et
toutes, d’une seule voix, encourageaient le vénérable COA dans ses efforts
d’alpiniste ahanant, grimpant toujours et encore, pouce par pouce, traînant sa
ventripotente carcasse dans un effort musculaire sur-animal, jusqu'à cet
instant épouvantable et pourtant inéluctable où, épuisé, hors d’haleine, il
s’arrêta tout net, le nez pointé contre la terre.
Alors, il arriva que Goup- le renard le saisit entre ses crocs pointus !
Aussitôt, ce fut partout alentour un cri d’épouvante !
Le misérable carnassier allait-il profiter de l’épuisement de COA pour
le dévorer ?
Mais Goup
n’entendait rien ; son fardeau dans la gueule, il fit un bond, puis deux, puis
dix encore, tels un, deux et dix éclairs roux, atteignant le sommet de la
Grande Colline, et, avec douceur déposa enfin, le vieux crapaud médusé sur la
lourde pierre blanche que Rug-le taureau y avait traînée pour en constituer
une tribune circonstancielle.
Aux cris de
terreur de la foule, succéda une rumeur d’apaisement et d’admiration; et,
tandis que Goup- le renard posait sagement son arrière-train à ses côtés,
l’ample queue rousse roulée devant ses pattes de devant,
le vieux crapaud voyageur contempla, très ému et fort surpris, le
spectacle qui s’offrait sous ses yeux globuleux.
Sur les flancs
de la colline, à droite comme à gauche, du haut jusques en bas, jusqu’au
ruisseau où il allait se désaltérer chaque jour, se déployait en gradins, un
immense parterre d’auditeurs, de Flore comme de Faune !
Sans doute les
deux peuples n’étaient point tous présents, mais chaque espèce y avait dépêché
son représentant ; et tous et toutes se côtoyaient paisiblement, sans
manifester ni haine, ni envie, ni mépris, ni vanité, comme si, à cet instant
solennel, la volonté commune de conjurer le mauvais sort l’avait emporté sur
l’instinct naturel d’assouvir des appétits incongrus.
Dans le
firmament, tout à fait consternés par la tenue de cette insolite assemblée,
Bri-le soleil et Bla- la lune avaient interrompu leur approche et jetaient
leurs phares lumineux et blafards sur la
Grande colline.
Alors, COA le
crapaud vénérable prit la parole :
« Mes amis,
vous êtes ici tous réunis parce que vous savez que la folie des bipèdes
humains nous voue à une mort certaine. Mais nous voulons vivre, n’est-ce pas
? »
« Oui !...Oui ! » répondit la foule d’une seule voix.
« Alors,
voici mon plan : que nous soyons de Flore ou de Faune, grands ou petits, forts
ou faibles, beaux ou laids, tels que nous a fait la nature, tous, sans
exception, nous allons disparaître pour un temps d’une saison, de la
République de Chiméronie ; fuyant les bipèdes humains, nous allons, tous sans
exception, nous ensevelir dans les profondeurs de la terre, nous exiler au
plus profond des forêts et des cavernes, jusqu'à ce que nos ennemis, privés de
nourriture, connaissent la mort dans une famine générale.
Lorsqu’ils
seront tous exterminés, et que j’en aurai acquit la certitude, je vous en
avertirai et vous apparaîtrez enfin pour reprendre votre existence dans la
paix et l’ordre naturel retrouvés.
Allez, maintenant, prenez vos réserves de survie pour au moins une
saison, et dispersez-vous dans l’ombre de la terre. »
Goup le renard
s’était redressé ; saisissant notre orateur batracien dans sa gueule, il
dévala la pente de la Grande Colline et déposa COA au seuil de sa demeure.
Puis, il disparut dans les sous-bois.
Et voici
soudain, et dès cet instant, que la Flore et la Faune s’évanouirent
promptement du sol de Chiméronie, découvrant une terre nue, aride, noire et
désolée, où sinuait le lit caillouteux d’un ruisseau privé eau.
Et toute la
population des bipèdes humains, soudain privés de nourriture et de boisson,
s’entre-tuèrent et s’entre-dévorèrent jusqu’au dernier d’entre eux, qui mourut
à son tour, faute de pouvoir se nourrir de lui même.
ooo...ooo...ooo
Et la saison s’écoula, chaque jour suivant l’autre...
Au firmament, privé de l’intervention des bipèdes humains, Bri- le soleil
avait retrouvé son cours naturel, montrant son disque éblouissant à l’horizon
oriental, grimpant à l’assaut du zénith au fil des heures, puis empruntant son
déclin vers l’horizon occitan jusqu'à disparaître totalement. Alors, Bla- la lune qui n’avait plus de raison d’être sinon qu’à refléter la lueur de son compagnon du jour, avait, elle aussi, retrouvé son firmament de nuit, toute entourée de mille et mille étoiles, des petites aux plus grandes, aux lueurs plus ou moins luisantes, à la manière de mille et mille lucioles parsemées dans la prairie de jadis, aujourd’hui déserte.
Pourtant, après une nuit plus froide que de coutume, Bri le soleil apparut à
l’aube, dans un horizon chargé de gros nuages qui , peu à peu, envahirent le
ciel. Des pluies diluviennes tombèrent en nuées continues sur le sol desséché
de Chiméronie.
Le lendemain, Bri- le soleil réapparut , dardant de si forts rayons sur la
terre ridée par les rigoles des pluies de la veille qu’elles formèrent des
sentiers convergeant vers le ruisseau asséché ; Bla- la lune, dans la nuit,
apparut nimbée d’un halo, prémisse de nouvelles pluies, dissimulant les
étoiles du ciel.
Le jour suivant, les nuées déversèrent de nouvelles pluies, doucement,
chaudement, qui pénétrèrent au cœur de la terre, glissèrent dans les ornières
ramollies jusqu'à saturation, et
atteignirent le ruisseau de Chiméronie.
COA le crapaud vénérable qui avait hiberné pendant quelques temps, ressentit
les odeurs de la pluie. Il déjeuna d’un des derniers insectes de sa réserve,
prit une pincée de mousse sèche de sa couche, bourra sa pipe et la fuma à
longues bouffées. Alors, lui revint en mémoire la promesse qu’il avait faite de prévenir la gent de Flore et celle de Faune, lorsque tout danger serait écarté. Déployant ses quatre pattes endurcies par tant d’immobilité, il grimpa la pente qui menait à l’orifice de son cul-de-fons. Il risqua un œil, puis les deux au-dehors et s’aperçut avec stupeur que sous l’influence des pluies récentes et des chauds rayons de Bri le soleil, la gent de Flore n’avait pas attendu son message pour briser la terre ramollie et avaient envahi, petitement encore, le sol de la république de Chiméronie.
Il sortit plus avant, montrant son corps verruqueux ; son cœur se mit à battre
plus fort, et la joie l’inonda des commissures de sa bouche jusqu’au bas de sa
panse ventripotente.
Soudain, il entendit distinctement le sol résonner sous des pas légers : deux
ombres de bipèdes humains, tout jeunes, passèrent à proximité et parlaient
d’une voix douce et suave.
« Adam, mon amour, comme je t’aime ! »
« Eve, combien tu me plais ! »
Le pauvre COA n’eut ni le temps ni la force de lancer son cri d’alarme. Déjà,
jaillissant de son boyau, Chif la couleuvre se faufilait sur le sol pierreux,
rampant de tous ses anneaux vers le couple des amoureux, une énorme pomme
rougissante dans sa gueule béante... ! .... ET TOUT RECOMMENCA, comme aux premiers jours du Livre de la Genèse... ! François Dillenschneider - 1998. |