Conte Gascon...

LE LOUP PENDU 

François Dillenschneider

De fort bon matin, ce huit au vrai  du mois d’avril, avant même que l’aurore n’ait embrasé  l’horizon, Clovis, bonhommiot berrichon de souche sensément paysanne, la cinquantaine bien marquée sous un crâne devenu neigeux, avait refermé la porte de la maison  fermière et s’en était allé arpenter à sabots tranquilles, le sentier bordant son champ emblavé du dernier automne, herbu encore mais déjà verdurant dru, de quoi remplir son cœur de promesses d’une future moisson bien lourde de grains blonds.

 Du même coup, son chemin longeait, à l’autre bord, l’orée d’un bois de coudriers en futaies épaisses et désordonnées, qui faisaient office de barrières naturelles contre les incursions nocturnes des cerfs et des chevreuils amateurs de pâture tendre et goûteuse.

 De cette haie en épis branchus, émergeaient çà et là les dômes s’enfeuillant de quelques petits chênes arrivés là on ne savait trop comment, depuis bien des années.

 Il allait ainsi , le bonhommiot, le sifflôt au bout des lèvres et les bras mi-fouisseurs au fond des poches de son veston  que la vieillesse avait rudement déformé et râpé...

 Et puis soudain , il découvrit... un LOUP !..

 Un loup, pour sûr !… un vrai de vrai, gris de poil, une belle bête, ... mais  non point dressée sur ses pattes, le nez sur l’affût d’un garenne tapi derrière une touffe de chiendent,...et pas davantage surpris lové au sol dans un sommeil tardif !...

 Un loup qu’un sort peu banal et saugrenu à faire éclater de rire les plus grosses pierres du chemin, qui le tenait  suspendu dans les airs, accroché par une patte arrière dans la fourche  d’un petit chêne tortueux à souhait !...

 La  gueule pendante au bout du cou, cernée par ses pattes de devant, une jambe recroquevillée sur son ventre prêt à éclater, le fauve faisait tristesse à  voir dans cette posture aussi inattendue que désobligeante !

 Clovis contempla le corps immobile, prudemment s’approcha, le toucha du doigt, le crut froid et le prit pour mort.

 Tout de même, songea-t-il, c’est bien là une triste fin pour cette belle bête ! Et comme il allait poursuivre sa promenade matinale, le loup se remua  d’un long frisson et poussa un gémissement plaintif.

 «  Holà !,l’Homme ,... aies pitié de moi !  Vois combien  mon malheur est grand ! .. Je suis perdu et vais mourir !

 Surpris par cette plainte douloureuse, le bonhommiot revint vers le quasi cadavre pendu.

 «  Tu n’es donc pas mort, Loup ?... »

 « Pas encore , mais ça ne devrait pas tarder ! » 

 «  Et comment  as-tu fait pour te piéger de cette manière ?

 «  J’avais grand faim,... j’ai grimpé  au faîte de cet arbre pour y dévorer un nid de pie et, en descendant, j’ai glissé et me suis fait happer  par la fourche que tu vois ! » 

 «  Fort bien , Loup ! voilà qui t’apprendra à dénicher les oiseaux.  Et maintenant, ta punition est venue !... »

 « ... Et me voilà pendu, prêt à crever  si tu ne viens pas me dépendre !... Aies donc pitié de moi ; tu es costaud, l’Homme ! et tu n’auras  pas gros effort à fournir pour m’arracher de mon piège. ...Je suis trop épuisé pour que tu craignes la morsure de mes crocs !... aies pitié de moi... !... »

 «  C’est toi qui le dis, Loup ! mais faut-il que je te croie ?... Quand je t’aurai dépendu, tu me dévoreras, Pas vrai ?... » 

« Que non pas ! Crois en ma parole,...je t’en fais le serment :dès que tu m’auras dépendu de cette fourche, je quitterai le  pays pour toujours et n’y reviendrai plus, pas même pour y venir dévorer quelque mouton malade de ton troupeau !... »

 Parole de loup, songea le bonhommiot, est plus sûre que celle d’un renard !

 Là dessus concluant, notre paysan saisit la bête à bras –le - corps et la décrocha de la fourche du chêne, puis la déposa sur le sol herbu du chemin.

 «  Grand merci , l’Homme,  «  murmura le loup qui, reprenant  des forces dans ses muscles, s’écarta un peu, léchant longuement sa patte douloureuse qui le rendait boiteux.

 Amusé autant qu’apitoyé, Clovis , un instant, contempla le pauvre fauve blessé dans sa chair tout autant que dans son orgueil,  et il s’apprêtait à poursuivre sa promenade lorsque, se dressant sur ses trois pattes , les crocs soudain à découvert et le regard torve, le loup prit langue :

 «  J’ai grand faim , l’Homme, et j’ai bien envie de te dévorer !... »

 «  Holà, Loup ! as tu donc déjà oublié ta promesse ? »

 «  Que non point, mais, souviens-toi : je  te  l’ai faite lorsque j’étais pendu ! Maintenant, je suis libre, affamé, et j’aurai bien assez de forces pour te dévorer !... »

 Clovis, le Bonhommiot pensa : on a bien raison de dire qu’à vouloir faire le bien, le mal arrive toujours derrière !  

A cet instant, débusquant de la futaie, une triste chienne efflanquée, noiraude encore mais le museau blanchi par les ans, vint jusqu'à  eux.

 «  Eh !, la Chienne, conseilles- nous sur le problème qui nous occupe : »

 Clovis lui fit le récit des faits, concluant ainsi : «  Pour ma peine, Loup veut me dévorer !  Quel est ton avis ? »

 «  Je ne peux pas vous donner un conseil, répondit l’animal, je n’en ai nulle envie ! ... Pendant treize années, j’ai servi et protégé mon maître,... et maintenant que je suis devenue trop vieille, il m’a chassé pour ne plus avoir à me nourrir... A vouloir faire le bien, le mal arrive toujours derrière ! »

 Et la chienne s’en retourna dans le bois de coudriers.

 A peine eut-elle disparu qu’arriva , traînant les sabots d’un air las, un vieux cheval fort pelé, dont la maigreur des flancs dévoilait son squelette dans ses moindres détails, s’approcha des deux compères.

 Il fut encore convenu entre eux de lui demander conseil.

 Le cheval écouta le récit de Clovis, et dit avec une amertume non dissimulée : 

 «  Je n’en penses rien du tout ! Moi, pendant dix-huit années, j ’ai trimé pour mon maître, à labourer ses champs et à moissonner ses blés !... et maintenant que je suis trop vieux pour remplir mon office, il m’a chassé de mon écurie pour ne plus avoir à me nourrir ! ...On a bien raison de dire qu’a vouloir faire le bien, le mal arrive toujours derrière ! »

Et le vieux cheval poursuivit  son chemin.

 Alors, arriva trottinant gaiement, un grand renard roux dont la queue en panache ondulait derrière sa croupe.

 Clovis lui fit signe d’approcher et de les rejoindre ; ce qu’il fit de bien mauvaise grâce, parce que de tous les temps, cet animal déteste aussi bien le loup que les hommes.

«  Ecoute-moi bien, Renard : ce Loup que tu vois ici, était pendu à la fourche branchue d’un chêne ; j’ai eu pitié de lui et l’en ai dépendu. Pour le prix de ma peine, il veut me dévorer. Qu’en penses-tu ?... »  

 Renard plongea son museau entre ses pattes, réfléchit un court instant, puis :

 «  Je ne suis pas en état de juger cette affaire avant d’avoir vu l’endroit. Conduisez-moi sur le lieu. »

 Tous les trois atteignirent le chêne.

 «  Hé Loup, comment donc étais-tu pendu ?... » 

 «  Ainsi, dit Loup, et il grimpa dans le chêne, glissa à nouveau et se trouva encore pendu dans la fourche branchue. 

«  Fort bien, mon ami ! J’ai tout compris. Et maintenant je peux juger en mon âme te conscience : tu es pendu ?... Hé bien, restes-y ! » 

Alors, Clovis le bonhommiot quitta le lieu,  suivi du renard qu’il félicita pour son jugement fort pertinent.

«  Pour te remercier, dit-il, je te promets de t’apporter une paire de jolis poulets qui feront ton régal ! Dès demain matin, viens me retrouver ici même ! »

 A l’aube, le lendemain, Renard vit en effet Clovis portant sur son dos un fort gros sac remuant, qui devait à coup sûr contenir  les volailles promises. Il le suivit, alléché à l’avance du bon repas qu’il allait s’offrir.

 Alors, Clovis déposa  le sac, l’ouvrit tout grand et il en jaillit deux énormes chiens qui se jetèrent sur le renard et l’étranglèrent sans autre forme de procès.

 On a bien raison de dire qu’à vouloir faire le bien, le mal arrive toujours derrière !...

 

François Dillenschneider - (printemps 2003)

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